Nom
Le nom d’oreille-de-Judas évoque d’abord la forme du champignon, du latin « auricularia » en forme d’oreille et « auricula » oreille, son sporophore ressemblant à une oreille. Le qualificatif « judae » fait référence à Judas Iscariote qui, selon la légende, se pendit à un sureau peu après la condamnation de Jésus, le sureau étant l’arbre hôte privilégié de ce champignon.
Description
L’oreille-de-Judas est un champignon lignicole parasite puis saprophyte de la famille des Auriculariaceae qui pousse surtout sur les vieux sureaux (Sambucus nigra), parfois aussi sur hêtre, robinier ou saule.
Son sporophore en forme d’oreille de 5 à 12 cm est de couleur brun-rouge, grossièrement ridé à la face inférieure et parfois recouvert d’une pruine blanchâtre. Il ne possède pas de stipe, étant fixé par son coté. Sa chair est gélatineuse et un peu élastique. Par temps sec, son sporophore s’assèche et s’assombrit. Son odeur est faible et sa saveur douce. Il apparaît au début du printemps mais peut se trouver toute l’année. [1], [2], [3]
La seule autre espèce du genre qui pousse en Europe est A. mesenterica, hérissée de poils blanchâtres à l’extérieur. On trouve d’autres espèce en Amérique et en Asie sous le nom de « champignon noir » dont A. nigricans (ex A. polytricha) ou encore A. cornea.
Elle peut être confondu avec certaines pézizes (Peziza sp.) mais celles-ci poussent au sol.
Constituants
Le champignon contient des β-D-glucanes et un acide polysaccharique contenant xylose, mannose, glucose, et acide glucuronique. Il contient en outre de la mélanine, de l’adénosine et des composés phénoliques. [4]
Parmi les minéraux, on trouve : calcium, potassium, magnésium, fer et zinc. [5]
Usage traditionnel
L’usage médicinal de l’oreille-de-Judas en Europe est évoqué dès le XVIème par différents auteurs dont Lonicerus, Clusius, Gerard et plus tard Linné. Son utilisation porte essentiellement sur trois pathologies :
- les maux de gorge, en gargarisme dans du vinaigre, du lait ou de la bière
- les inflammations et infections oculaires
- les angines de poitrine
Il semble avoir été utilisé en Irlande, du XVIIème jusqu’au XXème siècle, pour traiter la jaunisse. Par ailleurs, il est utilisé comme tonique sanguin par les tribus du Ghana pour améliorer la circulation du sang. [6]
En MTC, « Mu Er » est utilisé pour compléter le Qi et nourrir le sang, humidifier les poumons et soulager la toux, arrêter les saignements, abaisser la tension artérielle et comme anticancéreux. Il est indiqué dans le vide de Qi et l’épuisement du sang, le vide pulmonaire, la toux persistante, l’hémoptysie, les saignements externes spontanés, la dysenterie sanguine, les saignement des hémorroïdes, l’hyperménorrhée et la métrorragie, l’hypertension, l’hémorragie du fond oculaire, le carcinome du col de l'utérus, le carcinome du vagin, les plaies douloureuses causées par les coups et chutes. [7]
Littérature
En 2002, Rowan et Sullivan Smith publient un livre sur les champignons médicinaux où ils relatent les propriétés de l’oreille-de-Judas. Elle aiderait dans la régulation de la pression sanguine et dans les désordres cardio-vasculaires. Ils rapportent un effet bénéfique dans l'hypercholestérolémie et l’hyperlipidémie ainsi qu’un usage dans les bronchiques chroniques. Ses polysaccharides de type β-glucanes seraient immunostimulants ainsi qu’anticoagulants. Enfin, ils mentionnent que des extraits d’Auricularia auraient empêché l'implantation d'œufs chez les animaux mettant fin au début et à la mi-grossesse : cela en ferait une contre-indication pour les femmes enceintes ou désirant concevoir. [8]
Christophers Hobbs traite en 2003 de l’espèce asiatique A. polytricha dans son livre désormais bien connu. Il rapporte sa propriété tonique immunitaire stimulant de la production d'ADN et d'ARN par les lymphocytes ainsi que des propriétés anti-leucocytopéniques et anti-inflammatoires. Ensuite, il ajoute un effet antidiabétique, comme protecteur des cellules des îlots pancréatiques. Il rapporte son aspect anticoagulant et antiaggrégant plaquettaire. Il mentionne enfin la théorie des signatures en ressemblance avec la muqueuse de la gorge dans son usage sur la toux. La posologie générale recommandée est de 15g de champignon séché sous forme de pilules avec du miel ou sous forme de décoction 2 fois par jour. Il mentionne enfin quelques préparation spécifique que nous traduisons ici :
« Préparations et recettes :
• En cas de leucorrhée excessive, fructifications bien séchées en poudre, mélangez 9g de poudre fine dans de l'eau bouillante et buvez 2x/jour. Ajouter du miel ou un autre édulcorant pour le goût.
• Comme tonique post-partum, faire tremper 30g d'A. auricula dans du vinaigre et boire 5-6g, 3x/jour.
• Pour les mucosités excessives et les nausées, décoctez 7 à 8 grosses oreilles-de-Judas et buvez 2x/jour.
• Pour les selles sanglantes, les saignements utérins ou les hémorroïdes sanglantes, faites bouillir le champignon (15g) dans de l'eau avec 15g de sucre (ou 1 cuillère à café de miel) à feu doux et prenez 2x/jour, 1 tasse à la fois.
• Pour les hémorroïdes des personnes âgées qui ne guérissent pas, mélangez la poudre avec de l'eau pour faire une pâte, étalez-la sur de la gaze et appliquez-la sur place.
• Pour l'hypertension, la sclérose vasculaire et les saignements ophtalmiques, faites tremper 3g de Mu Er pendant une nuit dans de l'eau, puis faites-le cuire à la vapeur pendant 1 à 2 heures. Ajoutez du miel pour le goût (facultatif) et buvez 1 tasse avant de vous coucher. » [9]
En 2007, Lelley rappelle dans son livre sur les champignons médicinaux que l’oreille-de-Judas était utilisée en cataplasme contre les infections oculaires au Moyen-Age sous le nom de Fungus sambuci. Il rappelle son aspect anticoagulant. Il mentionne son effet protecteur sur les îlots de Langerhans du pancréas ainsi qu’une augmentation de l'activité de la superoxyde dismutase dans le cerveau et dans le foie. Enfin, il rapporte un effet antioxydant. [10]
Christian Braibant, dans son livre sur les champignons médicinaux publié en 2013, rapporte son usage comme tonique sanguin utile dans les phlébites et les thromboses hémorroïdaires ainsi qu’un effet hypoglycémiant. Il précise que l’« acide polysaccharide » contenu dans le champignon a des propriétés anticoagulantes et serait indiqué comme anti-thrombotique. Ses phénols seraient en outre responsables de ses propriétés antioxydantes. Pour finir, il mentionne que l’oreille-de-Judas est une cause avérée du syndrome de Szechwan : une atteinte plaquettaire responsable d’hémorragies, chez les personnes le consommant fréquemment. [11]
Dans son livre sur les champignons médicinaux, Alain Tardif évoque en 2014 son effet thrombopénique qui pourrait avoir un emploi comme fluidifiant sanguin par son action sur les plaquettes. Cependant, le champignon serait contre-indiqué pour les personnes sous traitement anticoagulant. Il mentionne un usage dans le traitement de l'asthénie nerveuse et de la fatigue chronique, sans doute lié à ses propriétés immunostimulantes. Enfin, il rapporte une utilisation dans les troubles articulaires et musculaires (rhumatismes, lumbago, tétanie, contusions, crampes, douleurs liées à des traumatismes) vraisemblablement en raison de ses propriétés anti-inflammatoires, préconisé en cure sur un mois, en restant vigilant sur ses effets secondaires possibles. [12]
La même année, Jean-Claude Secondé, dans son livre sur les champignons de santé, rapporte la présence de vitamine B2 et B3. Il précise aussi que l’effet anti-inflammatoire du champignon serait lié à la présence d’un lipopolysaccharide (LPS). [6]
Recherche scientifique
Une étude française sur les activités biologiques des champignons en lien avec les maladies cardiovasculaires est publiée en 2000 à l’université de Montpellier. Elle observe un effet antiaggrégant plaquettaire d’A. auricula-judae utile dans les thromboses. Elle rapporte aussi ses propriétés hypocholestérolémiantes. [13]
En 2003, une étude est publiée sur l’activité anticoagulante des polysaccharides d’A. auricula. Elle démontre un effet antiaggrégant plaquettaire similaire à celui de l’aspirine. Elle observe aussi une propriété anticoagulante agissant via une catalyse de l'inhibition de la thrombine par l'anti-thrombine. [14]
Une étude de 2016 sur A.polytricha rapporte des propriétés antioxydantes ainsi qu’un effet antibactérien et antifongique sur C. albicans, E. coli, E. faecalis, P. aeroginosa et S. aureus. [15]
L’année suivante, une étude est réalisée sur les constituants cardioprotecteurs des champignons. Elle rapporte la présence de calcium, de phosphore et de fer. Les polysaccharides extraits du champignon ont des activités anticoagulantes, hypolipidémiantes (régulation de triglycérides sériques) et antidiabétiques (régulation des niveaux de LDL-C) ainsi qu’une activité antioxydante considérable. De plus, ils protègent la fonction cardiaque en maintenant les niveaux d'oxydoréduction dans le cœur. Ce sont des cardioprotecteurs efficaces qui améliorent la fonction cardiaque (fraction d'éjection et de raccourcissement) et retardent le processus de vieillissement. [16]
Une étude réalisée en 2019 sur l’oreille-de-Judas observe que les extraits du champignon favorisent la biosynthèse du procollagène dans les kératinocytes laissant présager d’un usage cicatrisant et réparateur cutané. [17]
Un article de revue est publie la même année sur le genre Auricularia. Il rappelle l’usage traditionnel du champignon dans les médecines traditionnelles d'Asie, d'Europe, dans les communautés africaines ainsi que chez les Maoris de Nouvelle-Zélande et les Tzeltal du Mexique. Il rapporte les propriétés du champignon : anticoagulant (antiaggrégant plaquettaires), anti-inflammatoire, antimicrobien, antioxydant, immunomodulateur, anti-cancéreux, anti-tumoral, antiviral, hépatoprotecteur, hypoglycémiant, hypolipidémiant, hypocholestérolémiant. [4]
L’année suivante, une étude portant sur les propriétés immunitaires d’extrait aqueux d’A. auricula-judae riche en β-glucanes en précise l’activité immunomodulatrice : celle-ci s’effectuerait via l’immunité humorale et cellulaire spécifique et non spécifique. En outre, elle observe une stimulation du système réticulo-endothélial. [18]
Toujours en 2020, une autre étude portant sur les propriétés antimicrobiennes du champignon observe une activité antimicrobiennne Gram+ et Gram- sur S. aureus, B. subtilis, E. coli, P. aeruginosa et K. pneumoniae ainsi qu’une activité antifongique sur C. albicans et T. schoenleinii. Les expériences sont réalisées à l’aide d’une macération saturée de poudre de champignons séchés. [19]
En 2021, une étude ethnomycologique sur les champignons de Serbie mentionne quelque-uns de ses constituants : des glucanes, des minéraux (Ca, K, Mg, Fe, Zn) ainsi qu’un acide glucoronique à activité anticoagulante (antithrombine). Enfin, elle rapporte son usage traditionnel en Serbie pour l’amélioration la fonction des vaisseaux sanguins sous les trois formes suivantes :
- mélangé avec de l'ail, des feuilles de persil et du vinaigre de cidre
- sous forme d’infusion
- frais (2-3 morceaux) devant être grignoté [20]
Pour finir, une étude publiée la même année mentionne les effets cicatrisants d'un extrait hydrosoluble riche en polysaccharides (dont mannose, galactose, glucose). Elle observe que l’extrait favorise la prolifération, la migration et l'invasion de fibroblastes et des kératinocytes ainsi que l'augmentation du processus de cicatrisation des plaies en augmentant la synthèse de collagène. [21]
Références
[1] R. Courtecuisse et B. Duhem, Champignons de France et d’Europe. 2013.
[2] G. Eyssartier et P. Roux, Le guide des champignons, France et Europe. 2013.
[3] M. Bon, Champignons de France et d’Europe occidentale. 2012.
[4] A. R. Bandara, S. Rapior, P. E. Mortimer, P. Kakumyan, K. D. Hyde, et J. Xu, « A review of the polysaccharide, protein and selected nutrient content of Auricularia, and their potential pharmacological value », Mycosphere, vol. 10, p. 579‑607, 2019.
[5] I. A. Kadnikova, R. Costa, T. K. Kalenik, O. N. Guruleva, et S. Yanguo, « Chemical Composition and Nutritional Value of the Mushroom Auricularia auricula-judae », Journal of Food and Nutrition Research, vol. 3, p. 478‑482, 2015.
[6] J.-C. Secondé, Les champignons de santé et de longévité. 2014.
[7] J. Zhou, G. Xie, et X. Yan, Encyclopedia of Traditional Chinese Medicines Molecular Structures, Pharmacological Activities, Natural Sources and Applications. 2011.
[8] R. Smith et S. Smith, Medicinal Mushrooms. 2002.
[9] C. Hobbs, Medicinal mushrooms. 2003.
[10] J. I. Lelley, Die Heilkraft der Pilze. 2007.
[11] C. Braibant, Les Champignons Médicinaux. 2013.
[12] A. Tardif, Les champignons médicinaux. 2014.
[13] S. Rapior, R. Courtecuisse, C. Francia, et Y. Siroux, « Activités biologiques des champignons : recherches actuelles sur les facteurs de risque des maladies cardio-vasculaires », Annales de la Société d’Horticulture et d’Histoire Naturelle de l’Hérault, vol. 140, p. 26‑31, 2000.
[14] S.-J. Yoon et al., « The nontoxic mushroom Auricularia auricula contains a polysaccharide with anticoagulant activity mediated by antithrombin », Thrombosis Research, vol. 112, p. 151‑8, 2003.
[15] E. Avci, G. Cagatay, G. A. Avci, M. Suiçmez, et S. C. Sevher, « An Edible Mushroom With Medicinal Significance : Auricularia polytricha », Hittite Journal of Science and Engineering, vol. 3, p. 111‑116, 2016.
[16] M. A Shibu, D. C. Agrawal, et C.-Y. Huang, « Mushrooms: A Pandora Box of Cardioprotective Phytochemicals », Medicinal Plants and Fungi: Recent Advances in Research and Development, vol. 4, p. 337‑362, 2017.
[17] Y.-J. Choi et al., « The medicinal mushroom Auricularia auricula- judae (Bull.) extract has antioxidant activity and promotes procollagen biosynthesis in HaCaT cells », Natural Product Research, vol. 33, p. 3283‑3286, 2019.
[18] V. Ibe, S. A. Ihim, M. Ikegbunam, M. Ugwu, et C. S. Nworu, « Influence of Nigerian Jelly Ear Culinary-Medicinal Mushroom, Auricularia auricula-judae (Agaricomycetes), on Humoral and Cellular Immunity », International Journal of Medicinal Mushrooms, vol. 22, p. 467‑478, 2020.
[19] A. N. Oli et al., « Evaluation of the phytoconstituents of Auricularia auricula-judae mushroom and antimicrobial activity of its protein extract », European Journal of Integrative Medicine, vol. 38, 2020.
[20] J. Živković, M. Ivanov, D. Stojković, et D. Glamočlija, « Ethnomycological Investigation in Serbia: Astonishing Realm of Mycomedicines and Mycofood », Journal of Fungi, vol. 7, p. 349, 2021.
[21] S. Mapoung et al., « Skin Wound-Healing Potential of Polysaccharides from Medicinal Mushroom Auricularia auricula-judae », Journal of Fungi, vol. 7, p. 247, 2021.